Indemnisation des victimes d'attentats : radicalisation du Fonds de Garantie

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Être avocat de victimes de dommages corporels, c’est être présent aux côtés des victimes, dans des situations souvent douloureuses et dramatiques.

C'est savoir les écouter, comprendre leurs douleurs, leurs besoins, leurs vies et les assister, depuis le moment où elles décident de nous faire confiance et de nous confier la gestion de leur dossier, jusqu’au moment de leur indemnisation qui, rappelons-le, doit leur permettre d’obtenir la réparation intégrale de tous les préjudices qu’elles subissent, sans restriction aucune.

Alors, lorsqu’un organisme régleur comme le FGTI (Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres infractions) décide purement et simplement de s’affranchir des règles de droit et de la jurisprudence au mépris total d’une victime, la privant ainsi de ses droits, c’est à un avocat indigné qu’il aura à faire.

Aujourd’hui, c’est cette avocate indignée qui décide de prendre la plume et de témoigner dans un de ses dossiers.


Monsieur X, alors âgé de 54 ans, est victime de l’attentat survenu au Stade de France le 11 novembre 2015 alors qu’il y travaillait en qualité d’agent de sécurité.

Monsieur X a subi essentiellement des séquelles psychologiques et a rapidement développé un trouble psychotraumatique avec évitement de tous les lieux de rassemblement avec du public ainsi qu’un état de grande fatigue physique et psychique, en raison de troubles importants du sommeil.


Avant les faits, Monsieur X exerçait deux activités professionnelles:

  • d’une part, celle d’agent de sécurité incendie la journée,
  • d’autre part, celle d’agent de sécurité dans l’évènementiel à titre ponctuel pour assurer la sécurité dans les stades, les manifestations, les spectacles, les réceptions (activité au cours de laquelle celui-ci a été blessé).

Monsieur X qui allait bénéficier de 18 jours de repos continu à compter du 16 décembre 2015 a pu reprendre comme prévu le 2 décembre 2015 son emploi en qualité d’agent de sécurité incendie.

En revanche, compte tenu de ses séquelles psychologiques, Monsieur X a dû abandonner son emploi d’agent de sécurité n’étant plus en mesure de se confronter à la foule et au public.

Par la suite, devant un état d’épuisement physique et psychique, Monsieur X a bénéficié d’un arrêt de travail différé du 15 septembre au 16 octobre 2016 pour « troubles anxieux persistants en lien avec les attentats du 13 novembre 2015. »

Monsieur X qui ne perçoit plus depuis l’attentat que son revenu d’agent de sécurité incendie subit des pertes de gains considérables (plus de 1.400 € nets par mois) qui ont été attestées par la production de ses bulletins de salaire, ainsi que ses déclarations sur les revenus.


A l’issue d’un examen contradictoire amiable entre le médecin mandaté par le Fonds de Garantie et le médecin conseil de Monsieur X, un préjudice professionnel a été retenu sans équivoque constitué par l’« impossibilité de reprendre une activité de sécurité « en plein air » et dans un lieu réunissant une foule importante. »


En dépit de cela, le Fonds de Garantie refuse d’indemniser les pertes de gains subies par Monsieur X.

S’agissant des pertes de gains professionnels actuels, le Fonds propose d’indemniser uniquement la période durant laquelle Monsieur X a été placé en arrêt de travail (soit, du 15 septembre au 16 octobre 2016) au motif fallacieux selon lequel seule la période d’arrêt d’activité prescrite par un médecin peut être indemnisée.


Rappelons, s’il en était en besoin, que les pertes de gains professionnels actuels sont définies :

  • Par la nomenclature DINTILHAC, comme les pertes actuelles de revenus éprouvées par une victime du fait de son dommage,
  • Par le référentiel indicatif de l’indemnisation du préjudice corporel des Cours d’Appel dans sa dernière version de septembre 2016 comme « le préjudice économique subi par la victime pendant la durée de son incapacité temporaire étant rappelé que celle-ci peut être totale ou partielle ou les 2 selon les périodes »
  • Par le guide pour l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme publié par le Fonds de Garantie lui-même comme la « perte de revenus subie par la victime, du fait de son dommage, entre la date de l’acte de terrorisme et la date de consolidation. "

Il n’est donc nullement question de conditionner l’indemnisation des pertes de gains professionnels actuels à l’existence d’un arrêt de travail comme le fait le Fonds de Garantie.


Concernant les pertes de gains professionnels futurs, alors même que le Fonds ne conteste pas le fait que Monsieur X a bien été contraint d’abandonner son activité d’agent de sécurité, il estime que l’impossibilité pour lui de reprendre une activité en plein air et dans un lieu réunissant une foule importante n’est constitutive que d’une incidence professionnelle dès lors que son état ne rend pas impossible l’exercice d’une activité professionnelle lui procurant des revenus. Il évalue cette incidence professionnelle à la modique somme de 10.000 €.


Quel cynisme!

Ce faisant, le Fonds prend là encore une position contraire au droit et à la jurisprudence en la matière privant ainsi Monsieur X de l’indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs et de son incidence professionnelle constituée par ses pertes de droits à la retraite.


Doit-on rappeler au Fonds de Garantie que le principe de réparation intégrale suppose de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit ?


Tandis que le Fonds se targue trop souvent d’être aux côtés des victimes, voici donc comment sont réellement traitées les victimes d’attentats et ce qu’elles reçoivent.


Pour information, les demandes formulées pour Monsieur X s’élevaient à:

  • 41.416,83 € au titre des pertes de gains professionnels actuels,
  • 99.493,77 € au titre des pertes de gains professionnels futurs,
  • 82.526,14 € au titre des pertes de droits à la retraite,
  • 100.000,00 € au titre de la nécessité pour Monsieur X de devoir abandonner son poste, sa dévalorisation sur le marché du travail, ainsi que la pénibilité et la fatigabilité accrues.

Ce dossier est malheureusement le reflet de positions radicales prises ces derniers temps par le Fonds de Garantie dans le cadre des dossiers d’indemnisations de victimes d’attentats et déjà dénoncées par certains de mes confrères spécialisés (préjudice d'agrément refusé à une victime du Bataclan pourtant retenu par la médecin du Fonds, refus d'indemniser le préjudice esthétique temporaire pourtant évalué à 3,5/7...) .

Ce n'est pas parce que le Fonds de Garantie indemnise les victimes au nom de la solidarité nationale qu'il peut tout se permettre.

Ce n’est pas parce que les victimes d’attentats se multiplient ces dernières années et que le Fonds a à connaître de demandes exponentielles (entre 1986 et 2014, le FGTI a enregistré en moyenne 145 nouveaux dossiers par an tandis qu’entre 2015 et 2017, il en a pris en charge 5.623, soit plus que l’ensemble des dossiers traités les 28 années précédentes) que ces victimes doivent être indemnisées au rabais au mépris des règles de droit et de la jurisprudence.


Avec de tels procédés, le FGTI, garant d’un système unique au monde n’en sortirait pas grandi.

argumentaire-du-fonds-pertes-de-gains.pdf

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