La mise en place d'un délit d' "homicide routier"
-Réclamée de longue date par les familles des victimes d'accidents de la route, le gouvernement a annoncé le 17 juillet dernier, à l'issue d'un comité interministériel, la création d'un délit d' "homicide routier" qui viendra remplacer la qualification d'homicide involontaire lorsque celui-ci est commis au volant.
Actuellement, un conducteur impliqué dans un accident de la route ayant entraîné la mort d'une personne peut se voir inculper d'homicide involontaire. Néanmoins, le Code Pénal ne crée pas d'infraction spécifique à ce type de situation qui est prévu et réprimé par l'article 221-6-1 du Code Pénal selon lequel:
"Lorsque la maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l'article 221-6 est commis par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, l'homicide involontaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque :
1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;
2° Le conducteur se trouvait en état d'ivresse manifeste ou était sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang ou dans l'air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l'existence d'un état alcoolique ;
3° Il résulte d'une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s'il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;
4° Le conducteur n'était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;
5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h;
6° Le conducteur, sachant qu'il vient de causer ou d'occasionner un accident, ne s'est pas arrêté et a tenté ainsi d'échapper à la responsabilité pénale ou civile qu'il peut encourir.
Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende lorsque l'homicide involontaire a été commis avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° et suivants du présent article."
C'est en raison du caractère insoutenable du terme d'homicide "involontaire" pour les familles de victimes décédées, que de nombreuses associations de victimes de la route se battent depuis de très nombreuses années pour que soit instauré un délit d' "homicide routier" pour tout accident mortel causé sur la route sous l'empire d'un état alcoolique ou sous l'emprise de stupéfiants.
Ce combat a repris de la vigueur après l'accident dont a été victime Antoine, le fils du chef Yannick Alléno le 8 mai 2022, mortellement fauché par un automobiliste alcoolisé qui se trouvait au volant d'une voiture volée, et plus récemment encore, par l'affaire Palmade, qui, le 10 février 2023, alors qu'il avait consommé des drogues, dont de la cocaïne, est venu percuter sur la route une autre voiture roulant en sens inverse, faisant ainsi 3 blessés graves, dont 1 enfant et une femme enceinte de 6 mois qui a perdu le bébé qu'elle attendait.
L'homicide routier serait-il une réelle avancée pour les familles des victimes de la route ?
En tant qu'avocate de victimes, je reste quelque peu circonspecte sur la création de ce nouveau délit, qui, selon moi n'est autre qu'une loi de circonstance, créée comme tant d'autres pour répondre à l'émotion publique.
En effet, j'entends et je comprends la douleur des familles de victimes décédées qui ne sauraient admettre ce qu'il peut y avoir d'involontaire à prendre sciemment le volant après avoir consommé des stupéfiants et de l'alcool et sont dans un désarroi tel que le mot involontaire martelé tout au long de la procédure est pour elles une souffrance supplémentaire.
Mais il faut bien comprendre, et c'est à nous Avocats, de l'expliquer à nos clients, que si l'auteur d'un accident de la route commet effectivement un acte volontaire en décidant de prendre le volant alors qu'il a consommé de l'alcool ou des produits stupéfiants, en revanche, l'accident qu'il provoque n'est quant à lui pas volontaire; il n'a pas voulu l'accident. Ainsi, celui qui tue involontairement, n'a tout simplement pas eu l'envie de tuer. Il a certes adopté un comportement dangereux ou interdit par la loi, mais il a ôté la vie sans le vouloir.
Or, comme l'a très justement rappelé Maître Jérôme Gavaudan, président du Conseil National des Barreaux: "En droit, il faut distinguer ce qu'on a voulu faire, ce qu'on a voulu commettre comme faits, et ce qu'on n'a pas voulu commettre. Ce glissement est contraire aux principes généraux du droit pénal: l'intention compte, donc elle doit être sanctionnée différemment de la situation où, même s'il y a eu multiplication de fautes, l'intention de tuer n'existait pas."
Ainsi, ce nouvel "homicide routier" pourrait avoir des conséquences sur l'ensemble de droit pénal. En effet, cela reviendrait à considérer que la volonté de tuer ne serait plus celle d'ôter la vie au moment de l'acte, mais la seule connaissance d'un potentiel risque homicide au moment de prendre le volant. Le caractère accidentel serait écarté par la gravité du délit et l'homicide involontaire deviendrait alors un homicide volontaire du seul fait de la connaissance d'un risque mortel potentiel.
Par ailleurs, si un délit d'"homicide routier" est crée pour les familles de victimes décédées dans un accident de la circulation, qu'en sera-t-il des victimes d'un même accident qui seraient grièvement blessées? Comment ces victimes pourront-t-elles accepter que la qualification pénale retenue pour les faits les concernant soit celle de blessures involontaires, tandis que c'est l'infraction d'"homicide routier" qui sera retenue pour les victimes décédées? N'y aura-t-il pas alors deux poids, deux mesures?
Enfin, dès lors que la création de l'"homicide routier" en lieu et place de l'homicide involontaire est destiné à n'être qu'un changement purement sémantique en l'absence de nouvelles sanctions, puisque les peines encourues resteront les mêmes que celles encourues sous la qualification d'homicide involontaire, la mesure ne changera rien en matière de sécurité routière et de politique pénale. Or, l'objectif n'est-il pas d'agir sur la conscience des auteurs et d'éviter que de tels accidents ne se reproduisent? Pour cela, il faut dissuader davantage et alourdir les peines.
Car dans les faits, alors même que notre arsenal législatif prévoit des peines conséquentes, celles-ci ne sont que très rarement appliquées. C'est ce qui ressortait d'un rapport du ministère de la Justice récapitulant les condamnations prononcées contre des chauffards en 2020. Dans le cas de personnes condamnées pour blessures involontaires avec circonstances aggravantes ou en situation de récidive, 8 sur 10 ont été condamnés à des peines de prison. Mais alors que le Code Pénal prévoit jusqu'à 5 ou 7 ans de prison selon qu'1 ou 2 circonstances aggravantes sont retenues, les peines réellement prononcées étaient en moyenne de 8,3 mois de prison, selon les données du ministère.
Aussi, dans les dossiers d'accidents mortels de la circulation dont je suis saisie, je suis souvent confrontée à la colère des familles endeuillées devant la faiblesse des condamnations pénales prononcées par les juridictions, qu'elles considèrent comme une insulte à la mémoire de leur proche.
Après avoir attendu un procès durant des années, ces familles ont souvent l'impression que les valeurs se sont inversées et que les auteurs des faits à la suite desquels elles ont perdu un être cher ont plus de droits que les familles elles-mêmes. Elles évoquent par ailleurs trop souvent un sentiment d'impunité des auteurs des faits.
Aussi, plutôt qu'une meure symbolique, il est donc indispensable:
- de rendre les peines plus dissuasives et plus efficaces avec des actions de suivi et de prévention afin que chaque conducteur réalise que prendre le volant, c’est une responsabilité : protéger sa vie et celle des autres,
- de repenser la place des victimes dans la procédure pénale afin que les familles de victimes de la route n'aient plus un sentiment d'abandon et d'injustice.
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Maître Christin, avocat accident de la route, est spécialiste en réparation du dommage corporel.
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