Indemnisation au titre de la solidarité nationale: augmentation du seuil de probabilité faible par le Conseil d'Etat

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Aux termes de l’article L 1142-1 II du Code de la Santé Publique :

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. »

Par deux arrêts en date du 12 décembre 2014 particulièrement motivés (CE, 12 décembre 2014, n° 365211 et 355052), le Conseil d'Etat a précisé les critères permettant d'apprécier l'anormalité du dommage.

Ainsi, la condition d’anormalité du dommage prévue par l’article L 1142-1 II du Code de la Santé Publique, doit être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; dans le cas contraire, les conséquences de l’acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Il faut donc analyser la fréquence du risque qui est intervenu après le type d'intervention. Si la probabilité de survenance du risque qui est intervenu était élevée, alors, les conséquences ne peuvent être considérées comme anormales. A l'inverse, si la probabilité de survenance du risque qui est intervenu était faible, les conséquences peuvent être considérées commes anormales.


Mais que considère-t-on comme un risque faible?

Par un arrêt en date du 4 février 2019, le Conseil d'Etat estime que doit être considérée comme faible et justifie donc la mise en oeuvre de la solidarité nationale, une probabilité de 3 % de risque d'un AVC lors du remplacement d'un défibrillateur chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé (CE, 5e et 6e ch. réunies, 4 févr. 2019, n° 413247)

http://arianeinternet.conseil-etat.fr/arianeinternet/ViewRoot.asp?View=Html&DMode=Html&PushDirectUrl=1&Item=2&fond=DCE&Page=1&querytype=advanced&NbEltPerPages=4&Pluriels=True&dated_date_lec_s=04/02/2019&datef_date_lec_s=04/02/2019


Dans cette affaire, le patient a subi une intervention au CHU de Caen en vue de remplacer le défibrillateur cardiaque implantable dont il était porteur. Il a été victime d'un AVC à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 90 %.

Une expertise médicale a été réalisée qui a conclu que le risque réalisé était de l'ordre de 3 %.


Pour la Cour Administrative d'Appel de Nantes (CAA Nantes, 9 juin 2017, n° 14NT01651), bien que la victime ait subi un accident médical non fautif directement imputable à un acte de soins présentant le niveau de gravité requis pour être indemnnisée au titre de la solidarité nationale par l'ONIAM, le risque de 3% n'est pas une probabilité faible si bien que le préjudice subi n'est pas anormal au sens de l'article L1142-1 II du code de la santé publique.

Le Conseil d'Etat annule cette décision aux motifs suivants:

"Pour rejeter les conclusions tendant à l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, la cour administrative d'appel a retenu que la survenance du dommage subi par M. C...ne présentait pas une probabilité faible au sens des règles énoncées au point précédent, dès lors qu'il résultait des indications données par l'expert que le risque d'un AVC lors du remplacement d'un défibrillateur chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé, comme c'était le cas de l'intéressé, était de l'ordre de 3 %. En retenant qu'une telle probabilité n'était pas une probabilité faible, de nature à justifier la mise en oeuvre de la solidarité nationale, elle a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique."

Cet arrêt du Conseil d'Etat mentionné au recueil Lebon fait référence à un des deux arrêts précités du Conseil d'Etat du 12 décembre 2014 (CE, 12 décembre 2014, ONIAM c/ M. Bondoni, n° 355052), mais aussi à un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation du 15 juin 2016 (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-16.824).

Dans cet arrêt, l'intéressé contestait le refus de condamnation de l'ONIAM fondé sur le défaut d'anormalité du dommage, mais sans succès.

En effet, pour la Cour de Cassation "le patient présentait une pathologie dont l'évolution devait conduire à une invalidité importante, que l'intervention chirurgicale, rendue nécessaire par cette pathologie, n'avait que des objectifs limités et visait surtout à éviter une aggravation de l'état de santé de l'intéressé."


Ainsi le premier critère fondé sur l'existence de conséquences notablement plus graves que celles qui résultaient de l'évolution naturelle de sa maladie, n'existait pas.

Le second critère, qui s'applique de manière subsidiaire lorsque le premier n'est pas caractérisé et qui tient à la faible probabilité du risque qui s'est réalisé, n'était pas vérifié non plus.


S'appuyant sur le rapport d'expertise, la Cour de Cassation a en effet approuvé les juges du fond qui ont considéré que cette opération comportait "un risque d'échec important et d'aggravation de cet état d'une fréquence de survenue de 6 à 8 %", ce qui excluait donc définitivement le caractère d'anormalité.


Ainsi, pour le Conseil d'Etat, la limite supérieure de la probabilité faible semble se situer entre 3 et 6 %.

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Maître Stéphanie Christin, avocat spécialiste en droit du dommage corporel, est expert en matière d'indemnisation des victimes d'accident médical.

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