Indemnisation d'une perte de chance: quel rôle pour le juge?

La perte de chance se définit comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable qui aurait pu se réaliser si le fait dommageable ne s'était pas produit.
La notion de perte de chance a été progressivement élaborée par la jurisprudence française pour pallier les limites de la causalité stricte en matière de responsabilité civile.
C'est par un arrêt du 17 juillet 1889 que la Cour de Cassation a reconnu pour la première fois le caractère réparable de la perte de chance à condition que celle-ci repose sur une probabilité réelle et sérieuse (Cass. req., 17 juillet 1889).
La réparation de la perte de chance ne peut pas être intégrale; elle doit être proportionnée à la probabilité que la chance se réalise.

L'article 4 du code de procédure civile prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
Aussi, est-il fait interdiction au juge de statuer en dehors du périmètre du litige fixé par les seules parties, ce périmètre étant circonscrit par les seules prétentions qu’elles ont formulées.
Concrètement, cela signifie que le juge ne peut :

• ni ajouter aux demandes des parties,
• ni modifier les prétentions des parties.

En matière de responsabilité médicale par exemple, il est fréquent que le droit à indemnisation soit partiel et que ne soit retenue par les magistrats qu'une perte de chance d'éviter le dommage.
La question qui se pose alors en pareil cas est de savoir ce que doit faire le juge lorsque le demandeur lui demande d'indemniser son dommage dans sa totalité, alors que la faute constatée n'a causé qu'une perte de chance d'éviter ce dommage?

En d'autres termes:

• Le juge doit-il refuser la demande en réparation intégrale formulée par le demandeur, au motif qu'il retiendrait seulement une perte de chance?
• Ou bien, doit-il requalifier lui-même la demande en réparation d'une perte de chance, même si la victime n'a pas expressément formulé les choses ainsi?

La Cour de Cassation réunie en Assemblée plénière vient de décider par deux arrêts rendus le 27 juin 2025 (pourvois n°22-21.812 et 22-21.146) aux visas des articles 4 et 5 du code de procédure civile, que lorsque le juge constate qu'une faute a privé la victime d'une chance d'empêcher que son dommage se réalise, il doit condamner le responsable à réparer ce préjudice. Ainsi, sans déborder du cadre du litige, la perte de chance peut être indemnisée même si la demande initiale qui lui était soumise visait uniquement la réparation intégrale du dommage.

Le juge pourra donc constater l'existence d'une perte de chance sur laquelle il devra inviter les parties à présenter leurs observations, sans pouvoir refuser sa réparation au motif que la victime n'en n'a pas fait la demande.

https://www.courdecassation.fr/decision/685e2a6e19f3995126284627?search_api_fulltext=22-21.812&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=

https://www.courdecassation.fr/decision/685e2a6f19f3995126284629?search_api_fulltext=22+21+146&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&judilibre_chambre%5B%5D=pl&op=Rechercher+sur+judilibre&previousdecisionpage=0&previousdecisionindex=0&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=2
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​​​​​​​Cette jurisprudence aura des conséquences importantes sur la rédaction des demandes et des conclusions des avocats. En effet, la victime n'aura plus à solliciter, à titre principal, l'indemnisation intégrale de son préjudice, puis, à titre subsidiaire, l'indemnisation d'une perte de chance.
Cet assouplissement des exigences de forme des demandes protègera ainsi les victimes mal conseillées et nous semble être tout à fait opportune.
Car finalement, la demande de réparation d'une perte de chance n'est-elle pas implicitement incluse dans la demande d'indemnisation intégrale?