Faute inexcusable: les victimes peuvent obtenir la réparation du déficit fonctionnel permanent

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Dans le cas d’une faute inexcusable, l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale prévoit l’indemnisation des souffrances physiques et morales avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice d’agrément et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle du salarié.

Progressivement, la jurisprudence est venue ajouter d’autres postes.

Il en est ainsi :

  • Des frais d’aménagement du logement (Cass. Civ 2ème 12 février 2015, pourvoi n° 13-17677) et d’un véhicule adapté en raison du handicap (Cass. Civ 2ème, 30 juin 2011, pourvoi n° 10-19475),
  • Du déficit fonctionnel temporaire (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n° 11-14311 et 11-14594),
  • De la tierce personne avant consolidation (Cass. Civ 2ème, 20 juin 2013, pourvoi n° 12-21548),
  • Des frais divers d’assistance par un médecin conseil (Cass. Civ 2ème 18 décembre 2014, n° 13-25839 et Cass. Civ 2ème 25 janvier 2018, n° 16-25647),
  • Des frais de déplacement engagés par le salarié pour se rendre à l’expertise ordonnée par le Juge de la Sécurité sociale, ces dépenses ne figurant pas parmi les chefs de préjudice expressément couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité Sociale (Cass. Civ 2ème 4 avril 2019, pourvoi n° 18-13704),
  • Du préjudice résultant du refus d’assurance pour le prêt immobilier que le salarié entendait souscrire (Cass. Civ 2ème 11 octobre 2018, n° 17-23312),
  • Du préjudice sexuel apprécié indépendamment du préjudice d’agrément (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n° 11-14311 et 11-14594),
  • Du préjudice permanent exceptionnel,
  • Du préjudice universitaire constitué par les modifications successives d’orientation nécessitées par le handicap du salarié (Cass. Civ 2ème 18 mai 2017, n° 16-11190),
  • Du préjudice d’établissement (Cass. Civ 2ème 2 mars 2017, n° 15-27523).

Par deux arrêts rendus le 20 janvier 2023 (Cass Plen 20 janvier 2023, n° 20-23.673 et 21-23.947), la Cour de Cassation opérait un revirement de jurisprudence qui était attendu de longue date en décidant que la rente versée par la Caisse de Sécurité Sociale aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle et qui est établie par rapport à leur salaire de référence et au taux d'incapacité permanente défini à l'article L 434-2 du Code de la Sécurité Sociale, ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047023645

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047023646?init=true&page=1&query=20-23.673&searchField=ALL&tab_selection=all

La Cour de Cassation, par un arrêt rendu le 16 mai 2024 (Civ 2ème, 16 mai 2024, n° 22-23.314) vient confirmer sa jurisprudence et préciser, s'il en était besoin, que:

"Dès lors, la victime d'une faute inexcusable peut prétendre à la réparation du déficit fonctionnel permanent, que la rente ou l'indemnité en capital n'a pas pour objet d'indemniser."

https://www.courdecassation.fr/decision/6645a1c098cdd00008064f40?search_api_fulltext=&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&judilibre_chambre%5B%5D=civ2&op=Rechercher+sur+judilibre&page=1&previousdecisionpage=1&previousdecisionindex=0&nextdecisionpage=1&nextdecisionindex=2

Le DFP fait donc désormais partie sans équivoque des postes de préjudice dont la victime d'une faute inexcusable peut obtenir réparation.

Reste maintenant à savoir comment les Pôles Sociaux doivent évaluer le déficit fonctionnel permanent de la victime.

Pour rappel, selon la nomenclature DINTILHAC, le déficit fonctionnel permanent :

« Ce poste de préjudice cherche à indemniser un préjudice extra - patrimonial découlant d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi par la victime a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime.

Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime. Il convient d’indemniser, à ce titre, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation.

Ce poste peut être défini, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, comme correspondant à « la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatamo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ».


Ainsi, le taux de déficit fonctionnel permanent est la résultante de 3 composantes que sont l'atteinte à l'intégrité physique et psychique, à laquelle viennent s’ajouter les souffrances endurées physiques et psychologiques post consolidation ainsi que les gênes dans la vie courante (troubles quotidiens altérant la qualité de vie et les conditions d’existence tant personnelles que professionnelles ou sociales subis par la victime après sa consolidation).

S’agissant de l’atteinte objective à l’intégrité physique et psychique, comme l’a jugé la Cour de Cassation, dès lors que l’instance ne porte que sur la liquidation des préjudices subis par la victime en conséquence de la faute inexcusable de l’employeur, les demandes des parties ne peuvent, dans le cadre de l’expertise et même après, tendre à remettre en cause, en fait ou en droit, les décisions prises par la caisse, en ce qu’elles portent sur la date de consolidation et le taux d’incapacité, en l’absence de tout recours exercé par ces dernières en temps utile, par les voies de droit dont elles disposent (2e Civ., 15 février 2018, pourvoi n° 16-20.467).

Ce n'est malheureusement pas la position qu'adoptent de nombreux Pôles Sociaux qui n'hésitent pas à écarter le taux d'IPP retenu par la Caisse de Sécurité Sociale et à accorder des compléments d'expertise afin que le taux d'incapacité soit réévalué selon le droit commun.


Nous entendons rappeler qu'en dépit des avancées jurisprudentielles, le régime d'indemnisation des victimes de faute inexcusable reste un régime dérogatoire du droit commun et que le Conseil Constitutionnel n'a pas consacré le principe de la réparation intégrale selon le droit commun du préjudice causé par l'accident dû à la faute inexcusable.

Aussi, l'argument soulevé par de nombreux employeurs depuis le revirement de jurisprudence de janvier 2023 selon lequel il convient d'écarter le taux d'IPP retenu par la Caisse sous le prétexte d'une évaluation uniforme du dommage corporel et d'un traitement égalitaire des victimes pour l'évaluation pécuniaire de leurs préjudices ne saurait prospérer.

Si cet arrêt marque une grande avancée pour les victimes de faute inexcusable, des éclaircissements seront sans doute nécessaires à l'avenir pour savoir comment devra être évalué le déficit fonctionnel permanent pour les victimes de faute inexcusable.




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